Vers un nouveau pacte pour stabiliser les successions futures

Notaire spécialisé en organisation patrimoniale
15 octobre 2025
Avec conviction, le 121ème congrès des Notaires de France, qui vient de se tenir à Montpellier du 24 au 26 septembre, a approuvé le vœux de sa troisième commission proposant « de créer un pacte familial de gel des valeurs tant pour le rapport successoral que pour le calcul de la réserve et des imputations».

Pour bien comprendre ce vœux, il faut avoir en tête les mécanismes du droit des successions qui tendent à assurer une certaine égalité entre les enfants.

Sauf clause contraire, chaque héritier doit rapporter à ses cohéritiers, lors de l’ouverture de la succession, tout ce qu’il a reçu du défunt par donations entre vifs. De cette façon, la masse à partager entre tous comprend non seulement les biens existants au jour du décès (après paiement des dettes) mais également l’ensemble des biens donnés par le défunt de son vivant.

Chacun comprend que l’égalité entre les héritiers serait illusoire si elle ne s’appliquait qu’aux biens dont le défunt sera resté propriétaire au jour de son décès : celui-ci pourrait avantager très sensiblement un héritier en lui donnant l’essentiel de son patrimoine, vidant ainsi sa succession.

Mais l’égalité serait aussi faussée si les donataires pouvaient se contenter de rapporter les biens reçus pour la valeur mentionnée dans l’acte de donation : l’érosion monétaire favoriserait encore les héritiers ayant reçu un don.

Conséquemment, la loi prévoit qu’un donataire doit rapporter la valeur au jour du partage de la succession soit du bien donné s’il le détient encore, soit du bien acquis en remplacement, soit de son prix de vente si ce prix n’a pas été réinvesti. Cette recherche des emplois successifs et de l’incidence des améliorations imputables au donataire (sur la valeur desquels les autres héritiers n’ont aucun droit) est cependant source de litige.

C'est pourquoi l’article 1078 du Code civil prévoit une exception  : à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès du défunt aient reçu un lot dans une donation-partage et l'aient expressément accepté, les biens ainsi donnés pourront être repris pour leur valeur au jour de la donation-partage (et non pas pour leur valeur au jour du décès ou du partage).

Ce gel des valeurs a deux avantages :

  • Il simplifie les démarches lors du règlement de la succession ;
  • Il permet à chaque donataire de pouvoir disposer du bien reçu et de réinvestir son prix sans avoir à craindre de devoir, lors de la succession, une indemnité à un cohéritier qui aurait moins bien géré son propre lot.

La Cour de cassation est venu bousculer une pratique notariale courante en rappelant que l’exception de l’article 1078 supposait une donation-partage écartant toute indivision entre les enfants donataires. A titre d’exemple, ne répond pas aux conditions légales une donation-partage attribuant une ferme et des terres indivisément aux deux fils, chacune des trois filles recevant sa propre maison (alors même qu’un tel partage partiel correspondait à une réalité économique et agricole).

Cette rigueur jurisprudentielle a été diversement appréciée. Le vœux du congrès des notaires a donc un double objectif :

  • Permettre que des donations comportant des lots divis puissent bénéficier du dispositif de gel des valeurs si tous les héritiers en sont spécialement d’accord ;
  • Permettre de conforter à moindre frais les donations partages imparfaites dont les signataires pensaient pouvoir retirer un gel des valeurs des biens donnés.

La concrétisation législative de ce vœux élargirait considérablement la portée du mécanisme de gel des valeurs. Elle comporterait cependant un effet secondaire embarrassant : la masse successorale se trouverait plus fréquemment comprendre des biens évalués à des dates différentes (celles des donations et celle du décès ou du partage).

Cela tendrait le plus souvent à diminuer la valeur liquidative de la masse successorale. Et, ce faisant, à fragiliser les dispositions testamentaires portant sur les biens que le défunt détenait au jour de son décès, biens nécessairement évalués à cette date (et donc surpondérés par rapport aux biens donnés, dont la valorisation aura été gelée).

Un cas pratique permettra de bien saisir cet effet indésirable

Séparés de biens, M. et Mme Montpellier ont trois enfants, Arnaud, Benoît et Christophe. Monsieur est propriétaire d’un domaine familial et d’un appartement en centre-ville, résidence principale du couple. Il consent à ses enfants, à raison d’un tiers indivis pour chacun, une donation du domaine familial. L’acte contient un pacte de gel des valeurs. Il rédige un testament léguant à sa femme la pleine propriété de l’appartement. 

Le domaine est ultérieurement vendu et le prix partagé entre les enfants.

Peu de temps avant son décès, Monsieur acquiert un bois valant 50 et le lègue à un petit-enfant.

Au jour du décès, trente ans après la donation, et par suite des emplois des donataires,  la masse de calcul de la quotité disponible aurait dû se monter à 4.000, et comprendre :

-. La valeur de la maison acquise par Arnaud, 1.000 ;

-. La part du prix dépensée par Benoît, 800 ;

-.Le portefeuille constitué par Christophe, 1.200 ;

-.L’appartement légué à leur mère, 950 ;

-.Le bois légué au petit-enfant, 50.

Au jour de sa donation le domaine valait 800 et l’appartement 200. Ce dernier représentait moins d’un quart des biens du donateur. Son legs au conjoint ne paraissait donc pas susceptible de réduction.

Au jour du décès du donateur, l’appartement représente encore moins d’un quart d’une masse de calcul calculée classiquement, mais pèse désormais plus de la moitié d’une masse de calcul établie à partir d’un gel de la valeur des biens donnés aux enfants (950 / (800 valeur initiale du domaine + 950 valeur actuelle de l’appartement + 50 valeur du bois).

En cas de désaccord entre un enfant et sa mère, ou simplement de représentation d’un enfant prédécédé par un enfant mineur (pour lequel les règles protectrices de la réserve devraient obligatoirement être appliquées), le conjoint survivant ne conserverait  que l’usufruit des 550/950èmes devenus réductibles du fait de la nouvelle fiction juridique. 

En l’espèce, cette action en réduction pourrait être intentée non seulement par Benoît, qui ne détient plus que 20 % de la masse de calcul classique, mais également par Christophe, dont les biens représentent 30 % de cette masse, avec égalité de résultat quant à leurs deux actions. Le gel des valeurs surprotégerait Christophe en lui permettant de recevoir nettement plus que la valeur économique de sa réserve. 

Le dispositif voté par le congrès dépasse donc son objectif : certes il limite les conflits entre les enfants donataires mais il leur permet de contester injustement le legs consenti à la femme de leur père.

Notre équipe a donc recherché un mécanisme qui permettrait de pallier cet inconvénient. 

Dans un prochain blog, nous vous proposerons la solution que nous avons mise au point.

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