Un pacte de gel des valeurs inopposable au conjoint survivant

Notaire spécialisé en liquidation successorale
25 novembre 2025
Dans un récent blog (Un nouveau pacte pour stabiliser les successions futures), nous avons exposé le vœux du 121ème congrès des Notaires de France visant à la création d’un pacte de gel des valeurs des biens donnés.

Ce vœux très intéressant proposait d’ajouter à l’article 860 du Code civil un cinquième alinéa ainsi conçu :

« Néanmoins à condition que tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient été gratifiés et qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent, il sera tenu compte de la seule valeur des biens donnés au jour de l’acte pour l’application de l’article 922 comme pour le rapport , si les parties en sont expressément convenues, soit dans l’acte de donation soit dans un acte postérieur dressé en la forme notariée. »

Nous avons cependant souligné que le dispositif voté par le congrès dépasse sa cible : en diminuant le volume comptable de la masse successorale, il fragilise les libéralités testamentaires, celles-ci portant sur les biens existant au décès et donc ne bénéficiant pas d’un gel de valeur…

Ce qui nous conduit à proposer de compléter ce pacte de gel des valeurs favorable aux enfants donataires par une objection bénéficiant au conjoint survivant : ce dernier aurait la faculté de demander que l’action le visant soit établie sur la base d’une masse de calcul composée et chiffrée selon les règles du droit commun.

A cet effet, l’article 922 du Code civil devrait être complété d’un troisième alinéa : 

« En cas d’action en réduction, le conjoint survivant pourra exiger que les modalités de réduction ou de retranchement le concernant soient calculées sans tenir compte des pactes de gel des valeurs prévus au cinquième alinéa de l’article 860. Cette objection sera sans incidence tant sur les modalités de réduction applicables aux autres personnes gratifiées par le défunt que sur le calcul des droits successoraux légaux du conjoint. »

Un mécanisme simple

Cette solution serait immédiatement opérationnelle. Elle ne ferait que proposer un retour au droit commun et ne créerait donc pas de mécanisme inconnu des praticiens. Elle n’interfèrerait pas avec les modalités de réduction qui seraient applicables aux libéralités à toute autre personne.

Dans un premier temps, l’imputation de toutes les libéralités serait effectuée en considération des pactes de gel des valeurs.

Si les résultats de l’imputation conduisaient à la réduction d’une libéralité au conjoint (ou d’un avantage matrimonial), celui-ci pourrait objecter que le gel des valeurs ne lui est pas opposable.

Le résultat plus favorable pour le conjoint d’une liquidation sans gel des valeurs n’aurait aucune incidence pour les autres gratifiés. Bien entendu, un résultat défavorable pour le conjoint n’apporterait, le concernant, qu’une confirmation de l’application du droit commun.

Au vu de la simplicité de mise en œuvre de cette exception, deux questions se posent principalement.

1ère question : faut-il n’en faire bénéficier que le conjoint survivant ou l’étendre à tous les gratifiés ?

Une réponse est évidente : il faut protéger le conjoint contre les effets secondaires du pacte de gel des valeurs. Le conjoint sera le plus souvent participant à l’acte de donation, en tant que codonateur ou que bénéficiaire d’un usufruit. Le protéger contre les effets indésirables du gel des valeurs facilitera la conclusion du pacte protecteur des enfants.

Une réponse semble découler du Code civil : l’exception doit être accordée à tout conjoint survivant, qu’il soit ou non l’auteur des réservataires. 

Mais l’interrogation principale reste embarrassante : faut-il réserver cette objection au conjoint, puisque tous les gratifiés seraient susceptibles d’être affectés par cette modification conventionnelle du volume de la quotité disponible ? S’agissant d’une question technique, les considérations pratiques semblent devoir l’emporter : n’accorder ce contrefeu qu’au conjoint permettra d’éviter que de multiples gratifiés ne puissent faire valoir, séparément et tardivement, une liquidation alternative.

2nde question : faut-il limiter limiter cette exception au pacte de gel des valeurs ou l’appliquer aussi aux donations partages ?

Ici encore, l’hésitation est permise mais des considérations pratiques invitent à une réponse négative.

En premier lieu, les donations partages supposent des attributions divises entre les souches. Chaque enfant aura donc pu faire évoluer son lot par des emplois successifs très différents de ceux mis en œuvre par ses copartageants. Une liquidation comparative intégrant les valeurs au décès de ces lots divis devenus disparates pourrait être très délicate à mener.

En deuxième lieu, le rappel de l’exigence d’un partage effectif caractériser une donation-partage va certainement limiter le nombre de ces actes. A l’inverse, le gel des valeurs appliqué à une donation simple, acte de moindre réflexion familiale, pourrait bien connaître un grand succès – voire un succès excessif rendant plus nécessaire une exception protectrice du conjoint.

Enfin, les aléas du travail parlementaire poussent à s’en tenir à une réforme limitée : la création d’un pacte de gel des valeurs pour les donations ordinaires, équilibré par une exception propre au conjoint survivant.

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