Démystifier le pacte Dutreil

Notaire sociétés Roubaix
26 septembre 2025
Ce mercredi 24 septembre 2025, lors de ses échanges à Matignon avec les organisations patronales, le Premier ministre Sébastien Lecornu a poursuivi les consultations en vue du budget 2026.

Dans ce contexte, le pacte Dutreil revient au premier plan du débat : son coût pour l’Etat et son ciblage sont de nouveau discutés depuis le rapport de la Cour des comptes (juin 2025) et plusieurs travaux parlementaires, ce qui alimente l’hypothèse d’un resserrement des conditions. À ce jour, aucune décision n’est arrêtée ; le droit applicable demeure celui des articles 787 B et 787 C du Code général des impôts.

Qu’est-ce que le pacte Dutreil ?

Le pacte Dutreil est un dispositif qui permet, lors d’une donation ou d’une succession, de réduire de 75 % la base imposable aux droits de mutation attachée à la transmission d’une entreprise opérationnelle (titres de société ou entreprise individuelle). En contrepartie, les bénéficiaires s’engagent à conserver l’entreprise pendant une durée déterminée et l’un d’eux (ou le donateur, selon les cas) doit exercer une fonction de direction pendant un temps donné, le tout sous un formalisme déclaratif strict. Le pacte Dutreil concerne les activités industrielles, commerciales, artisanales, agricoles ou libérales, mais exclut la simple gestion de patrimoine (notamment immobilier). Les holdings animatrices peuvent en bénéficier si elles animent réellement et de façon prépondérante un groupe d’activités éligibles, et ce jusqu’au terme des engagements.

Quel est le gain fiscal ?

L’avantage tient d’abord à une exonération de 75 % de la valeur transmise : seuls 25 % de la valeur des titres (ou de l’entreprise individuelle) entrent alors dans l’assiette de l’impôt, pour autant que toutes les conditions du dispositif soient réunies. Sur cette assiette résiduelle, on applique ensuite les abattements personnels (notamment les 100 000 € par parent et par enfant), puis le barème en ligne directe des droits de mutation.

Lorsque la transmission est démembrée (le donateur conservant l’usufruit des titres de la société), la base est d’abord réduite selon le barème de l’article 669 du CGI en fonction de l’âge de l’usufruitier, puis l’on applique l’exonération de 75 %. C’est ce qui explique que de nombreuses donations de nue-propriété aboutissent, en pratique, à une imposition nulle.

En cas de donation en pleine propriété par un donateur âgé de moins de 70 ans, une réduction complémentaire de 50 % des droits peut encore s’appliquer, en dernier. 

Pourquoi a-t-il été instauré - et pourquoi fait-il débat ?

Le dispositif vise à assurer la continuité des entreprises familiales lors des transmissions, en évitant la vente contrainte de l’entreprise pour permettre de payer l’impôt. Il s’agit de garantir la stabilité de l’actionnariat, la pérennité de l’outil de travail et, par conséquent, la préservation de l’emploi. Cela permet de renforcer la continuité économique des entreprises, lors de l’étape-clé de la transmission de son capital, justifiant l’avantage fiscal sous conditions strictes.

En 2024–2025, le débat s’est intensifié : certaines évaluations publiques et parlementaires ont mis en avant un coût plus élevé pour l’Etat que les estimations initiales, suscitant des appels à un meilleur ciblage ; d’autres acteurs soulignent qu’il demeure un pilier de stabilité actionnariale pour les PME et ETI.

Comment en bénéficier ?

Le dispositif vise des entreprises opérationnelles dont l’activité principale est industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ; en sont exclues la gestion de patrimoine propre et, notamment, la location meublée/équipée.

L’accès repose sur une chaîne d’engagements : en amont, un engagement collectif (ou réputé acquis selon les cas) de conservation pour une durée de 2 ans, puis au terme du premier et après transmission un engagement individuel de conservation d’une durée de 4 ans. Un signataire doit également exercer une fonction de direction effective pendant une durée de 3 ans. Des attestations régulières doivent être produites à l’administration fiscale.

Les titres d’une holding animatrice peuvent entrer dans le champ à la condition que l’animation soit réelle (conduite de la politique de groupe, contrôle, services internes), et au bon moment d’appréciation. En pratique, l’éligibilité et la sécurité de la stratégie supposent une lecture serrée de la doctrine, des seuils et des calendriers. 

La holding active ou passive n’est pas exclue du dispositif, mais celui-ci ne s’applique qu’au prorata des filiales exerçant réellement une activité opérationnelle.

Quelles sont les zones de risque et les pièges à éviter ?

Le premier écueil est documentaire. Le Dutreil est un régime de faveur : il se gagne au formalisme. La moindre approximation peut conduire à une remise en cause plusieurs années après. La charge de la preuve est désormais continue, pas seulement au jour de la donation ou de la succession, mais jusqu’à la fin de l’engagement individuel de conservation.

Le deuxième écueil est matériel : l’entreprise doit rester opérationnelle (industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale). Une dérive vers une prépondérance civile (gestion de patrimoine, notamment immobilier) fait perdre l’éligibilité. 

Le troisième écueil - le plus litigieux - concerne la holding animatrice. Une holding n’est pleinement éligible que si elle anime réellement et de façon prépondérante un groupe d’activités opérationnelles. En pratique, les juridictions rappellent régulièrement que les statuts et une convention d’animation ne suffisent pas : il faut démontrer l’animation effective à la date utile (pouvoirs de pilotage, contrôle, services internes rendus, facturations, budgets, reportings, organigrammes fonctionnels, PV attestant de décisions de groupe, etc.). À défaut, l’exonération est écartée. 

La jurisprudence récente est très pédagogique : ainsi, ont été invalidées des opérations où la holding, bien que dotée d’une convention d’animation, n’apportait pas la preuve d’une animation effective au jour de la donation (malgré des démarches ultérieures), ou venait à peine d’acquérir sa filiale à la date de l’acte ; la qualification d’animatrice a été refusée et le pacte Dutreil remis en cause.

Les réorganisations (apports, fusions, cessions partielles) en période d’engagement ne sont pas interdites, mais doivent être séquencées, datées et documentées pour ne pas rompre les seuils de détention, l’exercice de la direction ou l’éligibilité de l’activité.

Le Dutreil n’est pas un pur levier d’optimisation : il récompense la détention durable du capital d’une entreprise qui travaille réellement et l’implication dans sa direction. Il faut détenir, il faut diriger, et il faut transmettre l’outil de travail. Les schémas qui, sous couvert de Dutreil, visent à faire circuler du cash, des placements financiers ou des actifs patrimoniaux passifs (hors activité opérationnelle) s’écartent de la philosophie du régime et s’exposent grandement à une remise en cause.

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