L’article 265 C. civ. et la clause d’exclusion des biens professionnels : suite des combats !

Nicolas Duchange
25 mars 2024
Suite de notre brève du 15 février, concernant l’amendement voté le 18 janvier par l’Assemblée nationale pour modifier l’article 265 du Code civil. Le Sénat vient d'adopter une rédaction très différente de l'article 1 bis de la proposition de loi visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille.

L'Assemblée Nationale avait ajouté un nouvel alinéa à l'article 265 du Code civil : « La clause d’exclusion des biens professionnels du calcul de la créance de participation ne constitue pas un avantage matrimonial qui est révoqué de plein droit en cas de divorce. »

En accord avec de nombreux autres professionnels, nous signalions que ce nouvel alinéa, en mentionnant dans le Code civil une clause notariale particulière, relevait d’une mauvaise technique législative, le Code civil n'étant pas un clausier et ne devant pas le devenir. Et nous soulignions que la clause ainsi mise en avant ne méritait certes pas un tel honneur, étant critiquée par la doctrine depuis plus de trente ans.

C’est donc avec soulagement que nous avons accueilli l’amendement voté par le Sénat le 20 mars 2024, correspondant exactement à la solution proposée par l’un des juristes spécialisés de cette matière, M. Guiguet-Schiélé :

« À la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 265 du code civil, après le mot : « est », sont insérés les mots : « exprimée dans la convention matrimoniale ou ». »

Avec cet amendement, le deuxième alinéa de l’article 265 s’établit ainsi :

« Le divorce emporte révocation de plein droit des avantages matrimoniaux qui ne prennent effet qu'à la dissolution du régime matrimonial ou au décès de l'un des époux et des dispositions à cause de mort, accordés par un époux envers son conjoint par contrat de mariage ou pendant l'union, sauf volonté contraire de l'époux qui les a consentis. Cette volonté est exprimée dans la convention matrimoniale ou constatée dans la convention signée par les époux et contresignée par les avocats ou par le juge au moment du prononcé du divorce et rend irrévocables l'avantage ou la disposition maintenus. »

Si elle n’avait pas notre préférence, cette nouvelle version a le mérite essentiel de ne plus consacrer une technique contractuelle contestable (la technique de l’exclusion de certains biens lors du calcul de la créance de participation aux acquêts) et de ne plus limiter la portée de l’amendement aux seuls biens professionnels. Se trouvent ainsi sauvée notamment les clauses de plafonnement ou de minoration de la créance de participation et les clauses portant sur des biens non professionnels, tels les contrats d’assurance-vie. 

Trois observations cependant.

1°) La formulation retenue dépasse très largement la situation pratique ayant motivé l’ajustement textuel. Ainsi, même les clauses de partage inégal de communauté pourraient se trouver confortées dès le contrat de mariage. Les notaires devront donc porter une attention encore plus grande à distinguer dans les contrats de mariage les clauses jouant dans tous les cas des clauses ne jouant qu’en cas de dissolution par décès.

2°) Il faut espérer que les juges n’exigeront pas une formulation directement explicite pour retenir la volonté contraire « exprimée dans la convention matrimoniale ». Car si certaines conventions prévoient une limitation de la créance de participation « en cas de divorce » (formulation qui exprime bien une volonté pour le cas de divorce), d’autres limitent la participation de manière générale, pour ne prévoir une augmentation de la participation que pour le cas de dissolution par décès. Ces dernière formules n’évoquant pas directement la notion de divorce, il faudra logiquement admettre que c’est la généralité de la portée de la limitation convenue qui exprime la volonté des époux d’une mise en œuvre même en cas de divorce.

A défaut, l’amendement voté n’aurait qu’un effet déclaratif partiel, sa pleine efficacité ne pouvant résulter que d’ajustements contractuels ultérieurs, explicitant l’expression de la volonté d’un maintien de certains avantages matrimoniaux en cas de divorce.

3°) Devant le Sénat, trois amendements tendaient au maintien du texte actuellement en vigueur, principalement pour deux motifs :

  •   au moment du contrat de mariage, les personnes ne sont pas à même d'apprécier précisément la portée des avantages matrimoniaux convenus. Ce n'est qu'au moment où elles divorcent qu'elles peuvent se rendre compte que certains de ces avantages sont devenus indus et mériteraient d'être révoqués.
  • Cette modification, donnerait à un époux la possibilité de minorer son patrimoine, et de devoir beaucoup moins d’argent à son ex-épouse si celle-ci ne s’est pas enrichie de la même manière. L’adoption de cette disposition creuserait les inégalités au sein du couple, très généralement au détriment des épouses.

Heureusement, ces amendements ont été écartés par le Sénat : ils manifestaient une grande ignorance de la liberté des conventions matrimoniales. Car en définitive, clarifier l’efficacité des clauses minorant la dette de participation, c’est permettre à davantage de couples d’oser écarter le régime de la séparation de biens pure et simple pour un régime qui n’assurera certes pas leur égalité patrimoniale mais débouchera néanmoins sur un ajustement partiel.

En pratique, l’article voté par le Sénat ne tendra donc pas à creuser les inégalités au sein des couples, mais au contraire à les tempérer dans un plus grand nombre de cas.

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