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DROIT ET PATRIMOINE

La valeur de rachat au secours de la réserve héréditaire

Droit et patrimoine, décembre 2005, n° 143, p. 40, par Nicolas Duchange

Cet article fait suite aux arrêts de Chambre mixte de la Cour de cassation du 23 novembre 2004 ayant refusé la disqualification des assurances-placements en contrats de capitalisation. Tout en prenant acte de cette position, il souligne les insuffisances de la notion de primes manifestement exagérées pour protéger les héritiers réservataires du souscripteur-assuré et invite à envisager une exclusion de l'assurance-placement du champ d'application de l'article L 132-13 du Code des assurances.

Les considérations de cet article sont très actuelles, vu le débat sur les évolutions de la réserve héréditaire.

Extrait révélateur du contenu de l'article

Code des assurances, article L 132-12, Code civil article 922, Cassation chambre mixte 23 novembre 2004 n° 01-13592

Le droit des libéralités, à l’instar du droit des assurances et du droit fiscal, peut donc parfaitement prendre en considération la notion de valeur de rachat, qui n’est jamais qu’une créance que le défunt aurait pu exercer contre l’assureur jusqu’au jour de son décès.

La Cour de cassation pourrait-elle accueillir favorablement la reconnaissance de l’originalité de la valeur de rachat ? Une partie de la doctrine en doute.

Cependant, de nombreux auteurs relèvent que la souplesse dans la qualification des contrats d’assurance-vie « doit être compensée par une interprétation plus restrictive des particularismes du régime de l’assurance-vie ». Nous allons voir, à propos d’un texte concernant également une situation où des dispositions à titre onéreux se trouvent confrontées à la protection des héritiers réservataires, l’article 1527 du Code civil, que les évolutions jurisprudentielles et doctrinales, par le recours à une interprétation fonctionnelle plutôt que littérale et par une prise en considération des évolutions du contexte, sont nettement en faveur de la recherche d’une « cohérence d’ensemble ».

1°/ Une interprétation fonctionnelle plutôt que littérale

Comme l’article L. 132-13 du Code des assurances, l’article 1527 du Code civil écarte du domaine de l’action en réduction des dispositions dont les effets économiques sont proches de ceux d’une libéralité. Ce texte ne visant que les avantages pouvant résulter des clauses « d’une communauté conventionnelle » et aucun texte comparable n’ayant été inséré concernant le régime de la participation aux acquêts, la question du champ d’application de l’action en retranchement des avantages matrimoniaux s’est posée de façon cruciale. Limiter l’application de ce texte aux seules conventions matrimoniales communautaires reviendrait en effet à faire de l’article 1581 du Code civil la clé des atteintes matrimoniales illimitées aux droits des héritiers réservataires du conjoint prémourant.

Pour cette raison, la doctrine s’oppose à une interprétation littérale du texte le plus protecteur des héritiers réservataires et accepte de le considérer comme ayant pour fonction de poser une règle valable pour l’ensemble des conventions matrimoniales. Cette position doctrinale a été maintenue alors même qu’aucune extension législative n’a résulté de la loi du 23 décembre 1985 ayant procédé à quelques ajustements dans le prolongement de la loi du 13 juillet 1965.

2°/ Une interprétation soucieuse du contexte

Si cette conception de la portée de l’action en retranchement des avantages matrimoniaux ne paraît pas encore avoir été soumise à la Cour de cassation, une évolution jurisprudentielle significative concernant l’article 1527 du Code civil a d’ores et déjà montré qu’il n’est pas possible d’interpréter durablement un texte sans tenir compte de son contexte.

Dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 1965, l’article 1527 du Code civil ouvrait l’action en retranchement des avantages matrimoniaux « dans le cas où il y aurait des enfants d’un précédent mariage ». S’était donc posée la question de savoir si les enfants naturels nés d’une précédente liaison pouvaient également bénéficier de cette action tendant à ménager leurs droits réservataires.

Dans un premier temps, la Cour de cassation formula une réponse négative, considérant, sur la base d’une interprétation littérale du texte, que la loi n’a pas étendu au bénéfice des enfants naturels la protection assurée aux enfants d’un précédent mariage.

Cette décision fut critiquée comme aboutissant à recréer une distorsion au détriment des enfants naturels. Car, logiquement, la rédaction de 1965, reprise mot à mot de celle de 1804, époque à laquelle l’article 338 du Code civil prévoyait que « L’enfant naturel reconnu ne pourra réclamer les droits d’enfant légitime », ne pouvait plus, à mots égaux, avoir la même portée depuis que prévaut le principe de non-discrimination selon la naissance. Suite à une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation révisa sa position, considérant que les enfants légitimes nés d’un précédent mariage et les enfants naturels nés d’une précédente liaison se trouvant dans une situation comparable quant à l’atteinte susceptible d’être portée à leurs droits successoraux en cas de remariage de leur auteur sous le régime de la communauté universelle, la finalité de la protection commande qu’elle soit étendue aux seconds au regard du principe de non-discrimination selon la naissance édicté par la Convention européenne des droits de l’homme.

Concernant l’assurance-vie, la leçon à tirer de cette ouverture de la jurisprudence sur le contexte consisterait à accepter de reconnaître que la limitation drastique des droits des héritiers a été organisée en 1930 « en contemplation du contrat le plus vulgarisé à l’époque, la temporaire-décès » avec laquelle les sommes reversées par l’assureur au décès de l’assuré sont sans commune mesure avec les primes payées. Puis d’en conclure que cette limitation est inadaptée pour les contrats où « l’assureur s’engage à payer à l’échéance l’épargne versée par le souscripteur, majorée de sa capitalisation, et ne conserve que les frais de gestion des capitaux gérés par lui », c’est-à-dire pour les contrats dont la valeur de rachat au jour du décès de l’assuré est importante. [...]