Code civil annoté
Soumis par Nicolas Duchange le
REPERTOIRE DU NOTARIAT DEFRENOIS

La séparation de biens tempérée

Defrénois 14 avril 2023, n° 15, par Nicolas Duchange

Pour tempérer l’individualisme du régime de la séparation de biens, quoi de plus simple qu’un partage des revenus au fil des jours ? Les époux peuvent ainsi bénéficier d’une liberté de gestion à l’abri des créanciers du conjoint, tout en retirant de leur collaboration quotidienne une part ajustée.

Un tel régime matrimonial est à la fois moins contraignant qu’une communauté (en évitant les embarras de la gestion concurrente ou de la présomption d’acquêts) et plus concret qu’une participation aux acquêts (dont le mécanisme de répartition est différé en fin d’union).

Les évolutions sociétales et juridiques de ces vingt dernières années ont conduit notre pôle Famille & Patrimoine à proposer cette nouvelle formule de contrat de mariage à laquelle la revue Defrénois a accepté de consacrer onze pages.

Extrait révélateur du contenu de l'article

A qui s’adresse cette proposition de séparation tempérée ?

Les temps ont changé :

  • les mariages se célèbrent souvent passé la trentaine, les futurs époux ayant déjà une activité professionnelle confirmée et une amorce de patrimoine ; voire une expérience de vie commune au cours où concubinage ou pacs maintenaient séparés leurs patrimoine ;
  • la rémunération des femmes et leurs carrières se sont rapprochées de celles des hommes, relativisant l’intérêt que la communauté présentait pour elles ;
  • la suppression de la fiscalité successorale entre époux a atténué l’intérêt des clauses de partage inégale de communauté ou de participation ;
  • la divortialité est élevée ;
  • le salariat est souvent remplacé par une activité indépendante, dont l’exploitant souhaite conserver la propriété complète, s’agissant de son outil de travail.

C’est pourquoi la demande de contrat de mariage, dans le contexte d’un régime légal de communauté d’acquêts, se tourne davantage vers la séparation de biens que vers des ajustements de la communauté légale. Toutefois retenir la séparation de biens « pure et simple » embarrasse souvent les futurs époux au moment même où ils envisagent de se devoir durablement « secours et assistance ». Une séparation de biens tempérée par le partage des revenus du travail, c’est-à-dire des revenus résultant le plus directement de l’activité des époux, devrait donc rencontrer des marques d’intérêt.

Classiquement, cet équilibre matrimonial aura vocation à être proposé aux futurs époux ayant un projet professionnel indépendant (la valorisation et la conservation de l’outil de travail étant des questions qui restent délicates sous les régimes de communauté ou de participation aux acquêts). Cependant ce nouveau contrat sera plus simple à mettre en œuvre lorsque les époux accepteront d’acquérir leur résidence principale ensemble et par moitiés indivises.

Pour des époux ayant des revenus importants quoique dissemblables, le tempérament proposé aura une incidence économiquement plus importante et juridiquement plus cohérente qu’un simple ajustement des contributions lors de l’achat des résidences du ménage.

Pourquoi retenir une répartition annuelle des revenus ?

De très nombreuses règles civiles (notamment en droit social ou en droit des sociétés) et fiscales organisent des entretiens, des comptes, des assemblées ou des déclarations annuelles. Il est donc naturel de proposer aux futurs époux de faire le point annuellement, et non pas seulement en fin d’union, sur la répartition des fruits financiers de leur collaboration quotidienne. Un tel bilan annuel pourra paraître inutilement fastidieux. Les arbitrages pécuniaires entre époux, concernant leur train de vie et les modalités de son financement, sont cependant inhérents à la vie conjugale. Recommander un bilan annuel ne conduit qu’à formaliser une pratique courante.

En suite de la formule de contrat, est donc proposée une formule de bilan (adaptée au cas d’acquisition par moitié de la résidence principale au moyen de revenus professionnels) que les époux pourront ajuster à leur situation.

Quels revenus prendre en considération ?

Concernant la communauté légale, l’article 1401 du Code civil prévoit que « la communauté se compose activement des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres. »

La proposition formulée ne retient que les revenus du travail, revenus résultant le plus directement de « l’industrie » des époux.

Deux idées ont conduit à privilégier cette solution :

  • L’attention des futurs époux porte principalement sur l’équilibre de leurs efforts respectifs. Quand l’un travaille à la maison et l’autre en entreprise, ils participent à une œuvre commune dont ils entendent profiter ensemble des résultats, notamment par un partage par moitié des bénéfices pécuniaires (seuls signes extérieurs d’une richesse plus complexe).
  • A l’inverse, les futurs époux considèrent le plus souvent que les fruits et revenus des biens personnels ont vocation à revenir au propriétaire du patrimoine dont ils sont issus. L’exemple de l’immeuble de rapport acquis avec l’aide d’un emprunt est connu : les loyers paraissent naturellement destinés à la couverture des échéances bancaires incombant à son propriétaire.

La distinction entre revenus du travail et revenus du capital n’a cependant pas l’évidence qu’on lui prêterait a priori. Dans de nombreuses hypothèses, les revenus du capital naissent d’une exploitation, donc d’un travail.

La formule proposée s’efforce de trouver un équilibre. Ses utilisateurs devront prendre garde à l’adapter à la situation précise des époux signataires. Y ont été assimilées à des revenus du travail, les prestations qui les remplacent (telles les indemnités de chômage) ou qui ne sont pas issus d’un patrimoine (telles les aides au logement ou les allocations familiales).

[...]

En pratique…

Cette proposition de séparation de biens tempérée comporte des éléments de complexité : étant moins pure, elle est moins simple. Mais il ne faut pas s’en alarmer outre mesure : les difficultés que pourront soulever la liquidation et le paiement de ses créances de participation ne seront pas supérieures aux embarras des régimes proposés par le Code civil – elles seront moindres une fois qu’on les aura envisagées avec un même niveau de paresseuse habitude.

L’essentiel devrait donc ressortir rapidement : de très nombreux époux séparés de biens pratiquent déjà, au jour le jour, cette confusion de leurs ressources. A défaut d’un contrat adapté, ils le font au risque de s’attirer les foudres de leurs créanciers, du fisc ou d’un conjoint devenu moins aimable. L’adoption d’une séparation de biens tempérée tendra à sécuriser cette pratique courante : là est sa dynamique.