Avantages matrimoniaux : les simples bénéfices, seule référence pertinente
En complétant l’article 265 du Code civil par une mention permettant d'écarter, dès la rédaction du contrat de mariage, la révocation des avantages matrimoniaux convenus, la loi du 31 mai 2024 « visant à assurer une justice patrimoniale au sein de la famille » a redonné vigueur au régime de la participation aux acquêts.
Cependant, par un arrêt du 13 décembre 2023, la 1ère chambre civile de la Cour de cassation a décidé que la plus-value d’un bien professionnel originaire liée à l’activité de l’époux propriétaire n’est pas comprise dans le patrimoine originaire et augmente donc les acquêts donnant lieu à participation. D'où des acquêts de participation pouvant être nettement plus importants que des acquêts de communauté.
D'où une nouvelle question embarrassante : les modalités légales du régime de la participation aux acquêts peuvent-elles déboucher sur des avantages matrimoniaux retranchables ?
Considérant que le régime de la communauté légale est le niveau zéro de l'avantage matrimonial retranchable, une partie de la doctrine répond affirmativement et se trouve portée à voir le régime de la participation aux acquêts comme un régime aux conséquences imprévisibles, qu'il conviendrait de déconseiller.
Nous pensons au contraire que l'article 1527 du Code civil renvoie non pas à un régime de référence mais à un concept, les "simples bénéfices ", dont la définition devrait être de nature à permettre que les avantages matrimoniaux résultant du régime type de la participation aux acquêts ne soient pas retranchables.
A même de se maintenir à l'écart des actions en révocation et en retranchement de ses avantages matrimoniaux de base, le régime de la participation aux acquêts devrait donc désormais pouvoir prendre son plein essor.
Extrait révélateur du contenu de l'article
Petit tremblement de terre : les résultats comptables du régime de la participation aux acquêts ne sont pas identiques à ceux d’une communauté légale ! Ce n’est certes pas la première alerte, mais l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 13 décembre 2023, en admettant que la plus-value d’un bien professionnel originaire liée à l’activité de l’époux propriétaire n’est pas comprise dans le patrimoine originaire, souligne une différence structurelle entre les deux régimes qui pose la question de la qualification juridique de cette différence : les modalités légales du régime de la participation aux acquêts peuvent-elles déboucher sur des avantages matrimoniaux retranchables ?
Une réponse affirmative susciterait de redoutables difficultés pratiques lors du règlement de la succession du conjoint désavantagé. En effet, l’avantage matrimonial détecté devrait être ajouté à la masse de calcul de la quotité disponible puis imputé à la date du mariage, d’où des conséquences imprévisibles sur les libéralités, qui seront le plus souvent de rangs postérieurs. En outre la question pourrait embarrasser tant lors de la succession du conjoint prémourant que lors de celle du conjoint survivant, à une époque où la liquidation du régime serait déjà ancienne.
Traditionnellement, il est proposé de procéder à l’évaluation de l’avantage matrimonial retranchable par une liquidation comparative du régime en cause et du régime de la communauté légale, toute différence étant sensée correspondre à l’avantage retranchable.
Cette pratique repose sur deux idées-forces :
- L’action en retranchement étant un avatar de l’action en réduction des libéralités, la référence comparative doit être identique pour tous les régimes matrimoniaux, de manière à assurer un égal niveau de protection aux héritiers réservataires, quelle que soit l’imagination matrimoniale de leur auteur.
- Même si l’on admet désormais d’appliquer la notion d’avantage matrimonial au régime de la participation aux acquêts, le seul texte légal définissant les avantages matrimoniaux reste l’article 1527 du Code civil, placé au cœur des dispositions régissant les régimes de communauté. Puisqu’il importe d’assurer un traitement identique à toutes les conventions matrimoniales, la communauté légale aurait donc vocation à servir d’étalon maximal dans le cadre de la protection de l’ordre public successoral.
Le régime de la communauté légale est alors qualifié de régime de référence. Cette notion pouvait sembler appropriée tant que les régimes comparés étaient des communautés augmentées : entre régimes construits à partir des mêmes mécanismes, la comparaison était naturelle et la révélation d’un surplus de valeur accordé au conjoint du de cujus désignait clairement un avantage contestable. Mais face à des régimes conventionnels pouvant être bâtis sur des mécanismes différents ou minorer les avantages accordés au conjoint du de cujus, la notion de régime de référence est devenue à la fois dangereuse et inexacte (I), d’où la nécessité de rechercher une référence alternative pour la mise en œuvre de l’action en retranchement (II).
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La masse de calcul de la quotité disponible n'est pas intangible
En apparence, la proposition selon laquelle la protection des héritiers réservataires impose de recourir à un étalon unique pour jauger les combinaisons matrimoniales relève de l’évidence. Cependant, le drapeau de l’ordre public successoral ne doit pas masquer la ductilité des mécanismes conduisant à la réduction des libéralités.
Chacun sait que le Code civil ou la jurisprudence contiennent de nombreuses dispositions permettant au de cujus, au cours de sa vie, d’ajuster le volume de la masse de calcul de la quotité disponible de sa propre succession :
- en donnant tôt la pleine propriété de certains de ses biens (notamment à son conjoint), le de cujus mettra en œuvre les dispositions de l’article 922 du Code civil prévoyant que la réunion fictive des seuls biens donnés, non des revenus des biens donnés ;
- en souscrivant des contrats d’assurance-vie rachetables, il pourra sans grande contrainte personnelle soustraire de cette masse de calcul une importante part de son patrimoine ;
- en consentant une donation-partage répondant aux dispositions de l’article 1078 du Code civil, il pourra minorer le volume de la masse de calcul de la quotité disponible et dispenser de rapport des libéralités en avancement de part successorale ;
- en laissant à son conjoint le libre choix entre les options de l’article 1094-1 du Code civil, il lui permettra de limiter au mieux de ses intérêts les incidences des actions en réduction.
Mais c’est aux époux que la loi confère la plus large marge de manœuvre pour limiter la portée d’une action en réduction :
- en adoptant un régime de communauté légale plutôt que de séparation des biens, le plus fortuné fera potentiellement sortir de la masse de l’article 922 la moitié de l’actif commun, ce qui aura une incidence patrimoniale considérable ;
- en adoptant une communauté universelle dotée d’une clause d’attribution intégrale au conjoint survivant, le conjoint prémourant se trouvera avoir complètement vidé la masse de sa succession ;
- et un tel mécanisme pourra même être convenu tardivement par changeant de régime matrimonial, extrême souplesse qui a conduit le professeur Michel Grimaldi à se demander, de lege ferenda, si le maintien du régime civil et fiscal des avantages matrimoniaux élaboré en période d’immutabilité absolue se justifiait encore en période de mutabilité contrôlée ;
Or, puisque la loi permet aux époux, par le jeu des avantages matrimoniaux, de modifier très librement le seuil de l’action en réduction stricto sensu (seuil qui marque le début des atteintes aux droits réservataires des enfants), il convient de se demander si les époux ne pourraient pas également ajuster, par le choix d’un régime matrimonial, le seuil de déclanchement de l’action en retranchement (seuil qui marque la fin de la liberté de porter atteinte aux droits réservataires des enfants).
Cette interrogation mérite d’autant plus l’attention que la Cour de cassation, notamment dans son fameux arrêt du 18 décembre 2019, a pu paraître indiquer que le régime de référence pour les contrats de participation aux acquêts ne serait pas la communauté légale mais le régime participatif organisé par le Code civil. Ce qui invite à poursuivre la recherche d’un critère de retranchement opposable à tous les régimes.
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Les simples bénéfices de l'article 1527 du Code civil, seule référence pertinente
C’est à ce niveau du raisonnement qu’il convient de rappeler que, pour des raisons historiques, l’article 1527 du Code civil ne renvoie pas au régime légal mais aux « simples bénéfices résultant des travaux communs et des économies faites sur les revenus respectifs quoique inégaux des deux époux ». Ce renvoi présente l’avantage de recourir à un concept plutôt qu’à une liquidation comparative, souvent illusoire, et d’écarter une référence trop liée aux mécanismes communautaires.