Imputation sur les droits légaux du conjoint : que de malentendus ! (Code civil art. 758-6 et 765) - 2nde partie

Notaire successions complexes Lille Métropole
13 mai 2024
2°) Faut-il respecter un ordre d’imputation ?
Concernant l’imputation sur les droits légaux du conjoint, un autre débat surprenant agite une partie de la doctrine.

L’article 765 du Code civil prévoyant également que la valeur des droits d’habitation et d’usage accordés au conjoint par l’article 764 s’impute sur la valeur des droits successoraux légaux recueillis par le conjoint, des auteurs se sont demandé dans quel ordre il convenait d’imputer sur ces droits légaux les libéralités consenties au conjoint, d’une part, et, d’autre part, les droits d’habitation et d’usage.

Comme souvent lorsque la question est oiseuse, toutes les réponses possibles ont été proposées, d’où trois thèses qui s’affrontent :

1°) la thèse de l’imputation prioritaire du droit viager. En raison de sa nature spécifique et de l’importance que lui a donnée le législateur, le droit au logement devrait s’imputer en priorité sur les droits légaux, avant les libéralités.

2°) la thèse de l’imputation prioritaire des libéralités. Les imputations devraient se faire conformément au droit commun, par ordre chronologique, et ce qui conduit à proposer d’imputer en priorité les libéralités faites du vivant du disposant, avant les droits successoraux (au risque, disent même certain, de voir le conjoint privé de son droit si sa vocation légale a été épuisée par les libéralités…) ;

3°) la thèse de l’autonomie des imputations. Les imputations devraient se réaliser de manière autonome. Elles ne se combinent pas. Par suite, il n’y a pas lieu de fixer un ordre de priorité.

De notre point de vue, ce débat résulte d’une confusion par combinaison de deux mécanismes d’imputation qui n’ont de commun que leur nom : celui de l’imputation sur les droits du conjoint et celui de l’imputation sur les différents secteurs de la masse de calcul de la quotité disponible.

Concernant l’imputation sur les droits légaux du conjoint, la seule question est de savoir si ces droits légaux vont avoir une masse d’exercice résiduelle. Car, comme le suppose l’article 758-6 et comme le mentionne l’article 765, si la valeur de droits imputés est supérieure à celle des droits successoraux, « le conjoint n’est pas tenu de récompenser la succession à raison de l’excédent. » L’ordre d’imputation sur les droits légaux est donc sans incidence pour ce qui y est imputé :

  • soit le cumul des libéralités et du droit d’habitation dépasse la valeur des droits légaux et le seul résultat de cette opération est de constater la perte des droits légaux ;
  • soit le cumul des libéralités et du droit d’habitation ne dépasse pas la valeur des droits successoraux et le conjoint « pourra prendre le complément sur les biens existants. »

Par contre, il convient également de vérifier que le conjoint ne se trouve pas « recevoir une portion des biens supérieure à la quotité disponible spéciale définie à l’article 1094-1 du Code civil ». 

Mais cette vérification s’effectue au moyen de l’autre système d’imputation, celui répartissant les libéralités, les droits d’habitation voire des droits successoraux légaux complémentaires sur les différents secteurs de la masse de calcul de la quotité disponible, c’est-à-dire par la mise en œuvre postérieure d’un mécanisme très différent.

Prétendre faire une synthèse des deux systèmes d’imputations est aller trop vite, au risque de déboucher sur une conclusion erronée : priver le conjoint des libéralités reçues ou des droits d’habitation au seul motif que ces droits dépasseraient la valeur des droits légaux supplétifs !

Pour être complet, rassurons-nous : il semble bien établi qu’il n’y a pas lieu d’imputer les libéralités sur les droits d’habitation. Outre que la loi ne le prévoit pas, cela reviendrait à permettre que de faibles libéralités, faites sans forme authentique, purgent les droits d’habitation pourtant mis en avant et protégés par le législateur. 

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