L’imputation des libéralités consenties au conjoint sur ses droits successoraux part d’une idée simple : ces droits ne sont que supplétifs. Si le défunt a pris soin de protéger son conjoint par des libéralités, celles-ci ont vocation à venir se substituer à des droits légaux ayant perdu leur raison d’être.
Une telle imputation est cependant loin d’être aisée, pour deux raisons :
- Il faut souvent imputer des libéralités en usufruit sur des droits légaux en propriété ou des libéralités en pleine propriété sur des droits légaux en usufruit, ce qui implique le recours à un mécanisme de conversion en valeur qui n’est simple que si l’on recourt aveuglément au barème de l’article 669 du CGI.
- Par définition les libéralités ne portent pas sur les mêmes biens que les droits légaux, ce qui rend les comparaisons plus délicates, notamment pour les droits en usufruit.
La rédaction de l’article 758-6 du Code civil ajoute à ces difficultés une maladresse rédactionnelle.
En effet, il est compréhensible d’imputer des libéralités en pleine propriété ou en usufruit sur un droit légal d’un quart en pleine propriété, ou encore d’imputer des libéralités en pleine propriété sur l’usufruit légal total : dans ces différents cas, la libéralité sur certains biens vient logiquement se substituer aux droits légaux d’un quart indivis ou aux droits en usufruit, qui étaient des droits différents de ceux accordés par le défunt.
De même, il était compréhensible d’imputer des libéralités en pleine propriété ou en usufruit sur l’ancien droit légal d’un quart en usufruit : recevoir l’usufruit d’un bien représentant un quart de la masse est très différent de recevoir l’usufruit indivis d’un quart de cette masse.
Mais il devient illogique d’imputer des libéralités en usufruit sur un droit légal en usufruit qui avait vocation à porter sur la totalité des biens successoraux. Car une libéralité en usufruit limite déjà l’usufruit légal total en diminuant sa masse d’exercice. Imputer cette libéralité sur l’usufruit légal résiduel reviendrait à limiter deux fois l’usufruit légal. Ainsi, pour une masse successorale comprenant deux biens de même valeur, A et B : à défaut de libéralité, le conjoint recevra de la loi l’usufruit de A et de B. Mais s‘il est légataire de l’usufruit du bien A, il devrait imputer la valeur de l’usufruit légué sur l’usufruit légal : ne portant plus que sur B, de même valeur que le bien légué A, cette imputation aboutirait à priver le conjoint de tout droit sur B ! Comment le disposant pourrait-il comprendre qu’une mesure de protection puisse aboutir à diviser par deux les droits du « protégé » ?
Les liquidateurs audacieux oseront ne pas imputer usufruit sur usufruit « total ». Les légalistes préféreront attendre un ajustement des textes ou proposer à leurs clients de longues explications comparatives.